Le concept de personne apparaît tout à fait fondamental dès lors qu’on s’intéresse à la dimension sociale de la RSE. Il permet de réfléchir sur les réalités temporelles dans lesquelles nous vivons, et en particulier dans l’entreprise, et est indispensable pour comprendre et approfondir le sens et la portée du bien commun. En effet, les références anthropologiques du concept philosophique de personne est très porteur, car sa pertinence peut être reconnue par tous y compris par ceux qui ne partagent pas la foi chrétienne car « d'une juste conception de la personne humaine résulte une vision juste de la société ».
Le concept de personne a des racines théologiques développées dans les premiers siècles de l'Église pour approcher rationnellement la question de la Trinité. Comment distinguer le Père, le Fils et l'Esprit au sein de cette unité ? Quand on parle du Père et du Fils, cette dénomination n'est pas un attribut, comme lorsque l'on dit : « Robert est le père de cinq enfants... » Dans ce cas, ce n'est pas la paternité qui le définit ; la paternité est un attribut de Robert. Mais quand on parle du Père et du Fils en les nommant le Père, ou le Fils, on désigne non pas un de leurs attributs, mais qui ils sont, leur être propre. Dire « le Père », ou « le Fils », c'est dire que le Père se définit par sa paternité, il est Père, il se définit par la relation qui l'unit à son Fils ; et inversement pour le Fils qui se définit par la relation à son Père. Ce concept de personne s'applique ainsi de manière analogique aux personnes humaines, qui sont créées à l'image de Dieu.
Pour comprendre ce que signifie dire que l'homme est une personne, il est bon de le mettre en rapport avec un autre concept qui nous est plus familier, celui de l'individu. On voit bien que l'individu caractérise la singularité, une singularité qui, pour l'homme, n'est pas fondée dans la corporéité mais dans la faculté de liberté et de raison, qui fonde son autonomie. L’individu se tient par lui-même… Il a une unité et une certaine permanence, mais les relations n’en sont pas constitutives. Bref, l’homme-individu serait non seulement autonome mais aussi indépendant.
Le concept de personne, au contraire, manifeste l'importance des relations : elles sont constitutives de la personne et donc de son identité. En quelque sorte, le petit d'homme qui vient au monde est comme une liberté donnée à elle-même, une liberté qui est, à l'origine, vide, sans contenu, qui n'est pas déterminée. Il est essentiellement à construire, « en devenir », et son devenir se nourrit de manière essentielle des expériences et donc des relations qu'il lui est donné de vivre. On peut penser, par exemple, pour illustrer cette idée d'un être constitué par ses relations, que nous avons appris à parler. Plus largement, la plupart de nos compétences, de nos savoir-faire ou de nos connaissances sont liés à des relations.
Ce caractère relationnel de la personne permet de comprendre à quel point ce concept est important pour la morale sociale en entreprise et en tout lieu de vie sociale. En effet, si l'homme est dépendant de son contexte social, il ne peut accomplir son humanité sans disposer d'un certain nombre de ressources sociales qui sont comme la nourriture nécessaire pour son développement, sa personnalisation. Être une personne fonde ainsi tout un tas d'exigences sur la structure sociale dans laquelle nous vivons : la famille, le système d'éducation, et aussi le travail, etc. Faute d'avoir accès à ces ressources sociales, la personne ne se développe pas. Inversement, dans le travail, en fonction des tâches que l'on lui demande d'accomplir, la personne sera plus ou moins en mesure de développer ses compétences. Et si vous faites un petit exercice de mémoire, vous vous rendrez compte que votre carrière et votre compétence ont été nourries d'un tas d'opportunités qui vous ont été données, de prises de responsabilités, d'ouvertures, de perspectives nouvelles, etc.
Cette dimension du travail comme contribution au développement personnel est d'autant plus centrale que nos activités économiques sont maintenant très majoritairement des activités de service qui mettent les gens face à face dans un cadre relationnel beaucoup plus riche potentiellement qu'une activité où on est concentré sur une tâche, comme dans la firme taylorienne. On entrevoit là ce que dit Jean-Paul II dans Centesimus Annus : « D'une conception juste de la personne résulte nécessairement une vision juste de la société. » Une société « bonne » lorsqu'elle permet à toutes les personnes de développer au mieux leurs capacités, en leur offrant les ressources sociales nécessaires.
Cette interdépendance entre le développement de la personne et son contexte social au sens large, nous amène à relativiser nos propres mérites. Si je suis celui que je suis, n'est-ce pas parce que mes parents, mon prof de maths, le médecin qui m'a soigné... m'ont permis de le devenir ? Je suis dans un réseau d'interrelations dans lequel je demeure toujours et d'abord en besoin, mais aussi en dette. Nous sommes donc tous responsables de tous. Il nous appartient donc de contribuer à créer les conditions permettant à chacun de développer pleinement sa personnalité propre.
Dans ce cadre-là, nous avons d'abord considéré que le fondement de l'entreprise, c'était la division du travail permettant de spécialiser des acteurs, et les gains à la création de valeur étaient essentiellement liés à l'efficience de chaque acteur, de chaque individu sur son poste de travail, lié au savoir-faire qu'il peut acquérir mais aussi à la capacité d'automatiser la tâche circonscrite qui lui est confiée. À l'inverse, dans ce schéma-là, les relations sont une source de perte et le but de toute l'organisation c'est de les minimiser : on organise l'ajustement entre les postes pour qu'il n'y ait pas de reprise, on minimise les stocks qui coûtent, les rebuts, etc. Donc, le concept de personne nous amène à envisager un système de production où la création de valeur est essentiellement au niveau des individus, tandis que les relations sont source de coûts. L'ensemble qui forme l'entreprise est alors conçu comme une juxtaposition d'individus que l'on cherche à « co-ordonner ».
À l'inverse, le concept de personne met en évidence qu'il y a une création de valeur d'un autre ordre, et probablement beaucoup plus importante, liée aux relations entre les acteurs dont la conception d'homme comme Personne rend immédiatement compte, puisque la personne est constituée par ces relations. Alors on tendra à concevoir l'entreprise non plus comme un système de co-ordination entre individus, mais comme un système de co-opération entre des personnes, où chacune « oeuvre » à l'action collective et où les relations sont source de valeur. Pour illustrer l'importance de cette dimension relationnelle et sa capacité à créer de la valeur, on peut penser au phénomène d'apprentissage.
Cette dimension du travail comme contribution au développement personnel est d'autant plus centrale que nos activités économiques sont maintenant très majoritairement des activités de service qui mettent les gens face à face dans un cadre relationnel beaucoup plus riche potentiellement qu'une activité où on est concentré sur une tâche, comme dans la firme taylorienne. On entrevoit là ce que dit Jean-Paul II dans Centesimus Annus : « D'une conception juste de la personne résulte nécessairement une vision juste de la société. » Une société « bonne » lorsqu'elle permet à toutes les personnes de développer au mieux leurs capacités, en leur offrant les ressources sociales nécessaires.
Quand, dans un groupe, il y a des talents différents et que par les relations ces talents circulent, alors c'est l'ensemble de la compétence du groupe qui s'accroît. Dans un autre ordre, celui de l'innovation, nous avons tous fait l'expérience de la fécondité de réunions où les idées s'échangent et finalement, tout d'un coup, apparaissent des perspectives, des idées innovantes auxquelles aucun des participants n'avait pensé. Enfin, la coopération est directement source de performance, par exemple, lorsque sur une chaîne automobile, un robot tombe en panne. L'opérateur appelle l'agent de maintenance en mentionnant que « la 3ème articulation du robot ne fonctionne pas... » Cette petite information, qu'il n'était pas obligé de donner, peut permettre à l'agent de maintenance de réparer en 10 minutes au lieu de une ou plusieurs heures. Les relations sont aussi source de réactivité, d'adaptabilité... dans l'organisation.
Si les vertus de la coopération sont globalement reconnues et désirées, le passage à une mise en place effective reste souvent à faire. Il ne s’ [...]
Directeur régional pour la Suisse romande de l’entreprise 4B AG, spécialiste de la conception de fenêtres et de façades, Frédéric Figuet dirige [...]