Être patron et saint : est-ce possible ? C’est sans doute ce que va montrer au monde Enrique Shaw. Cet argentin qui aurait un peu plus de 100 ans aujourd’hui fait figure de modèle auprès des dirigeants d’Argentine - et plus largement d’Amérique du Sud - soucieux de vivre une vie professionnelle comme personnelle inspirée de l’Evangile. Quoi qu’il soit né à Paris, son nom nous dit peu de chose en Europe… Pourtant, il gagne à être connu. Reconnu vénérable depuis 2021, le premier président de l’association des dirigeants chrétiens argentins (ACDE) pourrait bientôt être canonisé…
C’est à Paris où son père travaillait à cette époque-là que naquît Enrique Shaw en 1921. Mais c’est en Argentine que son enfance, comme le reste de sa fructueuse vie, se passa. Alors qu’il n’est âgé que de quatre ans, sa mère Sara meurt d’une maladie, laissant à son époux son souhait de le voir donner à ses enfants une éducation chrétienne. Enrique Shaw côtoiera ainsi de nombreux prêtres qui l’accompagneront dans une pratique fervente de la foi chrétienne. Durant sa scolarité, le petit Enrique Shaw se distingue autant par ses bons résultats scolaires que par son ardente foi…
Ses trois premières années de lycée ont lieu au Collège de Buenos Aires portant le nom du saint français Jean Baptiste de La Salle. Le futur patron des Cristalleries Rigolleau y fait figure de bon élève dans toutes les disciplines. Son bon travail va avec son assistance régulière à la messe comme enfant de choeur et sa participation à un club chrétien : la « Congregación Mariana ». Se sentant depuis longtemps attiré par la marine, il demande à l’intégrer à l’âge de 14 ans, contre l'avis de son père. Il obtiendra son diplôme en comptant parmi les meilleurs élèves.
Enrique a nourri sa curiosité intellectuelle par la lecture de nombreux ouvrages : politique, économie, histoire, science… L’un d’entre eux nourrira particulièrement sa quête : il s’agit d’un brochure rédigée par un cardinal français, le cardinal Suhard, au sujet de la Doctrine sociale de l’Eglise. Il trouve dans cette véritable philosophie chrétienne de la vie sociale ce qu'il recherchait : il décrit cela comme sa « conversion »… Quelques années plus tard, à l’âge de 22 ans, il épouse jeune fille rencontrée à Buenos Aires : « Elle est remarquable, et maintenant que je l’ai vue plus souvent, je la trouve beaucoup plus belle, et j’ai découvert, en discutant avec elle, dans ses réactions et expressions, un ensemble de qualités exceptionnelles ». Ils se fiancent puis se marient quelques années plus tard. Son mariage donnera au monde neuf enfants dont un prêtre, Juan Miguel.
En 1945, la marine envoie Enrique Shaw, ainsi que deux de ses camarades de classe à l’Université d'État de Chicago pour étudier la météorologie. Cependant, juste au moment où sa carrière professionnelle prend forme, et que sa vie familiale se stabilise, Enrique sent que l’appel de Dieu nécessite une vocation plus spécifique. Il décide de se retirer du service naval, malgré les requêtes des amiraux qui lui demandent de rester. À la fin de la Seconde Guerre Mondiale, Enrique dépose le 15 août 1945, sa demande de libération. Il le fait avec la firme conviction qu’il est appelé à être un ouvrier et, à ce titre, à contribuer à la vie spirituelle de ses collègues de travail.
Une des leçons que peut donner Enrique Shaw aux dirigeants d’aujourd’hui est celle de son humilité. Il serait resté ouvrier si un ami prêtre de Chicago ne l’avait convaincu qu’il pouvait être appelé à avoir de plus grandes responsabilités et à diffuser l’Evangile dans le monde des affaires. Il intègre ainsi l’équipe de Cristalerías Rigolleau (Cristallerie Rigolleau) et en deviendra le directeur exécutif. Au sein de cette entreprise et comme membre d’autres conseils d’administration, la personnalité d’Enrique Shaw est reconnue non seulement pour son leadership et ses compétences, mais aussi pour sa capacité à communiquer de manière réceptive, y compris dans des situations conflictuelles.
Enrique Shaw s’engage avec coeur dans divers mouvements : Action catholique d’Argentine et Mouvement familial chrétien, conseil d’administration de l’Université pontificale catholique d’Argentine… Il contribua également à la création de « Caritas » et du « Serra Club ». Mais son souhait de s’engager pour l’évangélisation des entreprises par celle des dirigeants franchira une étape avec la visite du fondateur de la Jeunesse ouvrière catholique, le chanoine belge Cardijin, en 1951. Celui-ci encourage Enrique Shaw à constituer un groupe de patrons pour travailler ensemble à « en tant que dirigeants d’entreprise, d’être de meilleurs chrétiens », toujours sous l’inspiration de la Doctrine sociale de l'Église. Enrique sera ainsi le premier président de l’ACDE, l’association des dirigeants chrétiens d’Argentine fondée en 1952. Son enthousiasme propulse l’initiative non seulement à travers le pays mais aussi en Amérique Latine.
Enrique Shaw aura publié plusieurs ouvrages dans lesquels ses méditations intérieures reflètent un intérêt marqué pour la signification de la vocation chrétienne dans la vie en entreprise. Dans La mission des dirigeants d’entreprise de 1958, nous pouvons lire les grandes lignes de conduite éclairées par les Évangiles et la Doctrine sociale de l'Église, qu’Enrique a assumées comme une vocation. Comme d’autres laïcs importants de l'Église catholique, Enrique est mis en prison le 7 mai 1955, en raison de son appartenance au Comité central de l’Action catholique. Il s’est intéressé à l’adoption d’une « allocation familiale » dans les contrats de travail. Il a soutenu le développement d’une librairie spécialisée en écrits catholiques du monde entier.
"Et si le chef d'entreprise est chrétien et en possession du programme de Dieu pour l'humanité, une plus grande perspicacité, une plus grande compréhension et un leadership confiant et optimiste sont attendus de lui. Nous sommes d'une doctrine qui croit au péché, mais aussi à la Rédemption, à une réparation surabondante. Mais sommes-nous vraiment convaincus que la Rédemption est un événement auquel nous sommes tous associés et auquel nous devons prolonger ? Avons-nous la conviction que nous sommes chargés de rendre le monde meilleur et que nous pouvons le faire ?"
"La classe des patrons argentins doit être christianisée. Il est essentiel d'améliorer le vivre-ensemble social au sein de l'entreprise. Il est très important que le chef d'entreprise soit accessible. L'usine doit être humanisée. Pour juger un ouvrier, il faut l'aimer."
En 1957, on lui diagnostique une tumeur maligne. Malgré ce cancer incurable, il continue sa vie normalement. Plusieurs opérations nécessitant des transfusions sanguines sont effectuées. Ses médecins sont surpris par la quantité de donneurs volontaires, principalement des ouvriers de l’usine de Rigolleau… Enrique Shaw se bat pour sa santé. Après l’une de ses dernières interventions chirurgicales, soulagé et convalescent, il retourne à l’usine de Berazategui, qui emploie environ 4 000 travailleurs. Il organise des réunions avec la direction et demande un rassemblement des superviseurs, qui sont au nombre de 120.
Il y décrit la situation et les projets de l’entreprise, ainsi que les tendances de l’industrie du verre. Le 9 juillet, la relation de communication et d'affection qu'il entretenait avec les gens est émouvante lorsque, lors d'une rencontre avec le personnel, il remercie chaleureusement et humblement ceux qui ont donné du sang pour les interventions qui prolongent sa vie. Il fait un court voyage à Lourdes et là il offre ses prières pour sa famille et ses amis.
Après un silence pensif au sein du public, Enrique commence à souligner l’importance de la vie en communauté, qui signifie apprécier ce qu’il y a de bon chez les autres, puisque le mauvais sera de toute façon remarqué. La réunion se poursuit de manière informelle, dans une atmosphère difficile à décrire, tandis qu’Enrique transmet son dernier message, lorsque l’authentique « sang de travailleur » coule dans ses veines. Faisant face aux dernières phases douloureuses de sa maladie avec un courage profondément ancré dans sa qualité de chrétien, il meurt le 27 août 1962. Sa cause de béatification a été ouverte le 25 septembre 2001 à Buenos Aires par le cardinal Bergoglio (futur pape François) Enrique Shaw est « vénérable » depuis le 24 avril 2021.
Merci à l' UNIAPAC et à l'association ACDE pour les éléments fournis pour la publication de cet article.
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