L’Evangile suggère que « celui qui veut sauver sa vie la perd, tandis que celui qui perd sa vie à cause de Jésus la gagne » (mc 8, 35). Le dilemme qui ressort de cet Evangile – sauver sa vie en perdant son âme ou perdre sa vie pour la gagner – laisse entendre qu’il n’est pas légitime de « gagner sa vie ». Mais pourquoi le Christ affirme-t-il donc par ailleurs que « l’ouvrier mérite son salaire" ? (Lc 10, 7). C’est pourtant bien la consigne que Jésus donne à ses disciples lorsqu’il les envoie en mission.
« L’ouvrier mérite son salaire » (Lc 10, 7) En conséquence, il légitime le fait que les disciples puissent recueillir quelques ressources lors de leurs déplacements ; c’est d’ailleurs une consigne réaliste et une condition sine qua non de la mission. L’Evangile doit cependant être lu dans sa radicalité et il convient de ne pas éluder le problème ; il paraît aujourd’hui spécialement brûlant, tant les débats sur les hauts salaires suscitent des réactions et des questions. L’Evangile n’invite pas à l’inaction, mais au discernement des vraies richesses.
« L’argent, comme le fait remarquer Alain Setton, est au centre de la vie économique. Il est un fantastique activateur de rencontres, d’échanges et de dépassement de soi » (Vie professionnelle et sagesse biblique, quasar éditions, 2013). Mais il représente aussi un risque de perdition lorsqu’il obsède les esprits ou est érigé en idole. La Bible dénonce les méfaits liés au poids de l’ombre. C’est surtout dans l’Evangile selon saint Luc que l’on trouve les mises en garde les plus sévères. C’est la dialectique du « gagner-perdre » qui est spécialement mise en avant par le troisième évangéliste : « A quoi servirait-il à un homme de gagner le monde s’il perdait son âme ? » (Lc 9, 25) ; « vous ne pouvez servir Dieu et l’argent… » ou « la racine de tous les maux, c’est l’amour de l’argent » (Lc 16, 13).
La parabole du riche insensé (Lc 12, 16-21), telle qu’elle est racontée par Jésus, est édifiante : « Les terres d’un homme riche avaient beaucoup rapporté. Et il raisonnait en lui-même, disant : “Que ferai-je ? (…) : ‘Mon âme, tu as beaucoup de biens en réserve pour plusieurs années ; repose-toi, mange, bois, et réjouis-toi’”. Mais Dieu lui dit : “Insensé ! Cette nuit même, ton âme te sera redemandée; et ce que tu as préparé, pour qui cela sera-t-il ?” » Cette parabole rappelle brutalement l’échéance de la mort et donc la question de l’au-delà. C’est justement un aspect que notre personnage riche avait éludé. Il s’est concentré sur la vie présente et sur ses richesses. Le texte souligne habilement l’enfermement du personnage.
Il est insensé, dans le sens où il a une vision étriquée de l’existence, centrée sur son confort. Grâce à ses biens, il estime avoir réussi et ne plus devoir faire d’efforts ; il pense être à l’abri. Il ne lui reste plus qu’à jouir des plaisirs de ce monde. C’est le triomphe de l’ego. La perspective de l’au-delà semble bien lointaine pour lui. La venue soudaine de la mort renverse complètement ses illusions et ses plans. Il a travaillé en vain ; il ne pourra pas profiter de ce qu’il a entassé. Soudain s’effondre la perspective qu’il avait envisagée, celle de jouir égoïstement de sa fortune. Sa vision égocentrée et matérialiste de l’existence est démentie par les événements. Il a oublié une dimension de l’existence : celle de devenir riche en vue de Dieu.
L’Evangile nous appelle à une sobriété de vie quant à nous, nous avons à trouver le juste équilibre entre la dimension matérielle de notre existence et notre être spirituel. Ceci est résumé dans le livre des proverbes, où le priant demande à Dieu : « Ne me donne ni pauvreté, ni richesse, laisse-moi goûter ma part de pain, de crainte que, comblé, je ne me détourne et ne dise : “Qui est le Seigneur ?” Ou encore, qu’indigent, je ne vole et ne profane le nom de mon Dieu » (Pr 30, 8 9). L’épreuve du manque est insupportable pour l’ego, mais une opportunité pour le soi, fait remarquer encore Alain Setton. C’est la peur de manquer qui rend parfois injuste et qui aveugle le regard. Au contraire, le lâcher-prise, la distance, la prière peuvent être des chemins de croissance et de grâce.
Ce qui importe, c’est de gagner sa vie en mettant l’argent à sa juste place. L’activité économique comporte une dimension hautement positive : elle consiste à mobiliser ses ressources intérieures, elle conduit à s’ouvrir à l’autre, à servir, à donner, par son métier, plus de sens à sa vie. Le danger, c’est de devenir esclave d’un processus qui n’est que transitif et ne doit pas être confondu avec la finalité : c’est la fameuse distinction, chère à la pensée sociale chrétienne, entre l’avoir et l’être. La relation à l’argent est complexe : la parabole de l’intendant malhonnête bouscule nos conceptions de ce qui est juste et honnête pour mettre au premier plan la perspicacité, l’ingéniosité.
La pointe de la parabole n’est évidemment pas la valeur des créances, mais la valeur de la relation de l’amitié que construit cet intendant auprès de débiteurs probablement insolvables, dont il ramène la dette à des montants plus réalistes ; il se fait des amis et cette amitié est construite avec intelligence. L’Evangile a cette particularité qu’il contient des lumières sur ce qui est juste et ce qui fait grandir en humanité. La rémunération constitue la partie pécuniaire du travail. Ce qui compte surtout, dans notre engagement chrétien, c’est le travail, qui constitue un véritable service du bien commun.
Il faut évidemment tenir compte du piège constitué par l’argent, car l’enrichissement peut conduire à un aveuglement et à une perte des repères éthiques; c’est bien ce que l’on a pu constater lors de la crise financière de 2007-2008, avec la faillite de la banque Lehman brothers. On s’est aperçu qu’en Europe aussi, des personnes ayant eu des responsabilités importantes dans le domaine financier pouvaient se laisser séduire par des gains de plus en plus considérables. L’Evangile nous appelle à une vigilance par rapport aux richesses et à une certaine sobriété de vie. Il recommande même une certaine pauvreté, qui peut être vécue par tout chrétien en fonction de son milieu de vie et de son statut social. La récente encyclique du pape François, Laudato si' va dans le même sens. Comment peut alors s’effectuer le discernement ?
Le discernement demande d’être uni à Dieu. C’est lui qui nous donne la lumière pour que notre vie soit vécue, à la fois dans le monde et en Christ. Le seigneur ne nous demande pas de vivre la pauvreté à la manière des religieux ; il est légitime de gagner sa vie mais en mettant en œuvre des vertus chrétiennes de prudence et de sobriété. N’hésitons pas à prendre des temps de prière, et aussi à ajouter des temps gratuits, uniquement pour être avec Dieu. Avec lui, nous ne risquons pas de tomber.
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