raison d'être de l'entreprise

Raison d’être de l’entreprise : une démarche en 3 étapes

De Les EDC

Le dimanche 15 janvier 2023

A notre époque plus que jamais, l’entreprise doit être à même de donner tout son sens à l’action de tous ceux qui y participent ou ont une relation avec elle, c’est-à-dire en expliciter la finalité et la contribution propre. C’est ce que Hannah Arendt appelait « donner au travail une finalité plus digne » (Condition de l’homme moderne, 1958). La notion de raison d’être y contribue. Elle devra dire non pas ce que l’entreprise peut faire, mais pourquoi elle le fait. Une autre étape consiste ensuite à dire comment elle le fait de façon spécifique, question qui devient centrale dans les entreprises à mission.

Raison d’être, objet social, mission : quelles différences ?

Les trois aspects : « quoi » (objet social), « pourquoi » (raison d’être) et « comment » (mission) permettent de mieux cerner les travaux qui seront nécessaires pour construire les bonnes définitions. « Quoi » décrit déjà les champs possibles d’actions (que fait l’entreprise exactement ?) ; « pourquoi » informe sur les raisons de ces actions (qu’est-ce qui me motive au fond ?), étant précisé qu’il convient de distinguer le pourquoi (intention) du pour quoi (finalité) ; « comment » donne des précisions sur la façon dont l’entreprise réalise ces actions (quelles sont les missions de l’entreprise ?).

Pour l’entreprise, la raison d’être est un enjeu de taille.

Jamais autant qu’à notre époque cette dernière n’aura été autant le lieu où chacun peut encore trouver un espace sécurisé, et encore solide, référencé, pour y construire une part de son parcours personnel et/ou professionnel. Les autres lieux pratiqués par les générations précédentes sont tous plus ou moins affectés par les évolutions sociétales : la famille ne représente plus un cadre immuable de repères établis. L’économie, le climat, le modèle social, les régimes de retraite etc. : tous ces marqueurs sont fortement chahutés et ne sont plus autant des appuis stables sur lesquels chacun pouvait, à loisir, s’appuyer. L’entreprise supporte dorénavant un rôle qui dépasse ce sur quoi elle était attendue jusqu’à ces derniers temps. Les travaux sur sa « raison d’être » seront d’autant plus attendus que les nouvelles générations y seront attentives pour trouver du sens à leurs propres quêtes.

Exprimer le comment ou la mission de l’entreprise est un engagement

Dire ce que l’on fait (objet social) est facile. Dire comment on le fait (mission) est déjà un engagement de transparence et de responsabilité. Dire pourquoi et pour quoi on le fait, c’est dire pourquoi on existe ; c’est la reconnaissance d’un ensemble, d’une histoire qui existe déjà : savoir d’où l’on vient pour mieux appréhender là où on peut aller. C’est aussi aller chercher chacun là où il est, et l’emmener là où il peut aller, en le respectant pour sa propre histoire et ses propres capacités.

La « raison d’être » de l’entreprise répond principalement à la question : « Pourquoi faire cela ? ».

C’est un point essentiel que l’on peut aussi poser de cette façon : « si l’entreprise n’existait pas, qui répondrait aux attentes que celles-ci se propose de satisfaire ? » Définir une « raison d’être » de l’entreprise ne se décide pas dans un comité de direction lors d’une séance de travail. Car moins qu’une définition à proposer, la raison d’être un héritage à assumer, un ADN à découvrir au sein d’une démarche collaborative et participative, un projet à expliciter, sous la supervision du management. Une démarche particulière est nécessaire pour dégager une définition solide en profondeur, et durable ; cela nécessite un travail patient et méthodique. Une « raison d’être » ne se définit pas en quelques jours. Cette démarche peut s’appuyer sur les étapes suivantes :

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Première étape : S’approprier le projet fondateur

Toute entreprise a été créée pour la réalisation d’un projet qui a jeté les bases de son existence : le désir du fondateur, son idée première, le moteur qui lui a fait poser cet acte essentiel de création. Ce projet peut correspondre à une ambition créatrice et s’incarner parfois dans une vision mythique. Il peut, de manière plus prosaïque, s’inscrire dans la continuité d’un processus de création de valeur partagée avec d’autres entreprises (exemple de la sous-traitance). Mais c’est toujours le produit d’un engagement non neutre, structurant, qui a permis d’attirer les premiers actionnaires, les premiers collaborateurs, les premiers clients, les premiers fournisseurs, etc.

Un acte qui a nécessité une énergie toute particulière, singulière, celle de l’entrepreneur.

Il faut pour pérenniser ce projet rappeler ce pour quoi l’entreprise a été créée, il y a parfois longtemps. Le travail en question peut être particulièrement riche en enseignements. Les expériences montrent qu’à vouloir trop s’en écarter, on risque souvent une fracture sociale interne délicate à réduire, tant les employés peuvent être porteurs, parfois sans en avoir pleinement conscience, des valeurs basées sur l’acte fondateur et donc déclinées dès l’origine. L’inconscient collectif propage, dans la culture et dans la vie quotidienne de l’entreprise et beaucoup plus fortement qu’on le croit, les gènes de sa naissance. Retrouver le projet fondateur permet en général d’aller chercher, là où elle est ancrée, parfois profondément, la véritable «raison d’être» de l’entreprise.

Un projet fondateur qui doit être connu des éventuels repreneurs

Si l’entreprise est rachetée et donc gérée par un nouveau dirigeant, ce dernier doit avoir conscience qu’il reçoit un héritage sans doute plus lourd qu’il ne l’imagine. L’histoire et la culture de l’entreprise s’imposeront à lui tôt ou tard. S’il ne fait pas ce travail d’appropriation du projet fondateur, s’il ne revient pas aux fondements, qui sont portés par le corps social, il risque de générer un écart difficile à piloter sur la durée. Cela ne veut pas dire qu’il en est prisonnier, mais toute évolution devra intégrer cette force de résistance possible pour la traiter à sa juste valeur.

Deuxième étape : S’appuyer sur la culture de l’entreprise observée au fil du temps.

Quand l’entreprise est ancienne, il faut prendre un temps pour discerner avec les premiers concernés, les employés, ce qui fait sa culture dans son rythme quotidien. Les rites sont intéressants à identifier, à analyser. Ils disent très souvent, au travers de leurs formes ou de leurs cadences, des choses importantes qui peuvent rappeler la façon dont le projet fondateur s’est construit au fil du temps et au gré des organisations. Si l’entreprise est récente, les rites seront beaucoup plus facilement reliés à la raison d’être de départ.

Une entreprise, c’est un territoire et des relations…

Ces deux aspects doivent représenter des marqueurs forts de l’ancrage d’une entreprise sur son territoire, dans son histoire avec ses salariés et ses autres parties prenantes. On le perçoit bien dans les commentaires pris à vif sur les sites d’entreprises qui ferment. Les salariés rejettent, bien entendu, une décision lourde de conséquences désastreuses pour eux (perte de l’avoir). Mais invariablement, ils expriment aussi un sentiment d’abandon et de trahison vis-à-vis d’une entreprise qui a été en un sens leur mère, qui a donné un sens à leur vie sur leur territoire. N’y a-t-il pas là une part de la « raison d’être » de l’entreprise qui a été bafouée (donner du travail à la région) et qui, n’étant plus reconnue à sa juste valeur, vient avec violence heurter ceux qui s’y raccrochaient. Toucher à la « raison d’être », c’est toucher à ce que l’on est. C’est plus violent que de toucher à ce que l’on a.

Troisième étape dans l’écriture de la raison d’être : identifier les valeurs pratiquées ou exprimées.

Quand on retrouve le projet fondateur, et que l’on est capable d’analyser les rites pratiqués de façon durable et reconnaissable dans l’entreprise au quotidien, on peut alors plus aisément aborder les valeurs qui sous-tendent l’ensemble. Si elles sont une déclinaison de ces marqueurs, elles seront plus vite et plus facilement acceptées et mises en pratique par l’ensemble des employés qui y verront une confirmation des gènes qu’ils portent depuis l’origine de l’entreprise. Ils seront alors en phase avec ces valeurs et pourront même les revendiquer avec force vis-à-vis des clients et fournisseurs.

Ces trois piliers doivent être travaillés avec le plus grand nombre possible de collaborateurs.

Surtout pas uniquement avec les cadres, mais avec plusieurs groupes qui doivent être représentatifs de la structure de l’entreprise. Et en mélangeant des jeunes et des anciens. Les premiers sont souvent de fins observateurs, capables de pointer des habitudes atypiques que les anciens ne perçoivent plus et qui pourtant en disent long sur la culture du lieu. Les seconds portent l’empreinte laissée par les générations précédentes. Il faut les faire parler, rappeler les retraités, leur faire raconter l’histoire de leur entreprise par les anecdotes qui émaillent son histoire récente, ou moins récente, vécue par chacun. La «raison d’être» de l’entreprise pourra alors s’appuyer sur un socle solide et durable, non contestable et pouvant être explicité et assumé envers les tiers.

Concrètement, comment faire vivre cette raison d’être ?

Une fois que cette définition aura été préparée avec le plus grand nombre (pas tous, mais un ensemble représentatif dans lequel les autres pourront se projeter), il faut s’attacher à pouvoir décliner les conséquences de cette définition sur le quotidien des employés. Car une « raison d’être » ne pourra se vivre que si elle est reconnue par tous dans le cadre du travail de chacun. Il faut pouvoir en retrouver l’expression dans le cœur des métiers pratiqués dans l’entreprise. Cette étape de construction est indispensable. Ce n’est que par le côtoiement fréquent, parfaitement identifié et adopté par les employés qui y reconnaîtront leurs gestes professionnels du quotidien, que la « raison d’être » existera, sera bien vécue en interne et perçue enfin en externe. Faire passer les procédures, les décisions, les actes managériaux, les créations de nouveaux produits au travers du tamis de cette définition. Regarder comment cela peut s’appliquer sans trop d’écarts. Seul moyen de s’assurer que cette « raison d’être » ne sonnera pas faux en interne et pourra s’imposer en externe.

La démarche devra être faite avec le plus grand nombre

En faisant le travail avec le plus grand nombre, on s’assure que chacun s’y retrouve et participe à sa façon à l’histoire future de l’entreprise à laquelle il appartient. La « raison d’être » de l’entreprise n’est donc pas un vœu ou une vision, c’est une réalité inscrite dans les gènes de ceux qui la composent. Une réalité qui peut, qui doit évoluer, mais qui n’est pas plaquée tout d’un coup par la volonté de quelques-uns au risque de se fracasser sur ce qui fait son quotidien. Sans être immuable, la raison d’être ne peut être une valeur changeante en fonction du temps, des circonstances, du management.

Bref, toute la « communauté » entreprise est responsable de la raison d’être

Cela dit, si elle a à évoluer dans le temps, se pose la question de qui en est le gardien. Et de définir comment doit s’effectuer son adaptation aux nouvelles circonstances ? Juridiquement parlant, il suffit d’une majorité qualifiée en assemblée générale pour modifier la définition de la « raison d’être ». Ce n’est donc pas par des moyens juridiques que la raison d’être peut être cultivée ou protégée. En fait elle est la responsabilité de toute la communauté constituée autour de l’entreprise concernée. Ce n’est donc pas une notion absolue, mais un outil au service d’un projet commun.

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