Rse & bien commun

Suzanne de Dietrich, figure alsacienne du christianisme social

De Gérard Lacour

Le lundi 19 juin 2023

Suzanne de Dietrich a choisi de ne pas suivre le chemin tout tracé d’une carrière de dirigeante de la prestigieuse entreprise industrielle familiale portant son nom. C’est ainsi qu’elle peut inspirer les entrepreneurs et dirigeants chrétiens qui veulent mettre en pratique la pensée sociale chrétienne dans l’exercice quotidien de leur métier. Suzanne de Dietrich est peu connue du grand public, et parfois même des milieux protestants. Pourtant, inspirée par les prophètes du christianisme social, elle apporte des arguments qui sauront nourrir tous ceux qui veulent vivre chrétiennement la RSE (Responsabilité sociétale des Entreprises).

Suzanne de Dietrich, une femme d’action, ingénieur de formation et théologienne

Née à Niederbronn-les-Bains (actuel Bas-Rhin) en 1891, Suzanne de Dietrich fut ingénieure de formation, sans doute l’une des premières, théologienne et bibliste laïque « autodidacte » et renommée y compris jusque dans certains séminaires catholiques. Elle fut également initiatrice de la Cimade et membre de son conseil d’administration, du Conseil œcuménique des Eglises (COE), résistante avec ces deux organisations pendant la deuxième guerre mondiale, cheville ouvrière de la FUACE (Fédération Universelle des Associations des Etudiants chrétiens), secrétaire générale d’un important centre d’études oecuméniques en Suisse, (Bossey), conférencière un peu partout dans le monde, avec de longs séjours d’enseignement aux Etats-Unis. Elle est considérée aujourd’hui comme une très grande théologienne et femme d’action.

https://rse-bien-commun.fr/wp-content/uploads/2023/06/Bellefosse-Paysage2-scaled.jpeg

Le « Ban de la Roche », berceau spirituel de Suzanne de Dietrich

Suzanne de Dietrich

Suzanne de Dietrich a été inspirée depuis son plus jeune âge par son environnement alsacien « entre France et Allemagne », par son terreau familial industriel et protestant, et par les idées des fondateurs du « christianisme social protestant » du Ban de la Roche : Oberlin, Dieterlen, Fallot, etc. Un hasard ? Les Dietrich étaient les seigneurs du Ban de la Roche, un pays perdu dans les montagnes alsaciennes des Vosges, mais source d’un mouvement spirituel et social qui a grandi jusqu’aujourd’hui, un peu comme le grain de moutarde dont nous parle l’Evangile de Luc (chapitres 13 et 17). Ce sont là ses racines spirituelles, selon ses propres mots, et aussi les racines de sa vocation par rapport au monde du travail lorsqu’elle s’est trouvée confrontée à la décision de sa vie professionnelle.

Pasteur ou patron social ? Le « dilemme » entre Tommy Fallot et Christophe Dieterlen

Il semble en effet, à ses dires, que Suzanne de Dietrich s’est trouvée confrontée à ce qu’elle a appelé le « dilemme » entre Tommy Fallot et Christophe Dieterlen. Deux prophètes du christianisme social aux voies différentes. Le premier était pasteur et considéré comme le fondateur du christianisme social. Le second, un industriel considéré par le premier comme son maître, celui qui était à l’origine de tout ce qu’il avait pu penser et mettre en oeuvre pour l’avancement du christianisme social. Autrement dit tous deux ont cherché à mettre en pratique l’Evangile intégral, à en faire un véritable ministère, une mission, mais avec des approches différentes.

Tommy Fallot est devenu pasteur…

L’un, Tommy Fallot, a choisi de quitter le monde de l’entreprise pour devenir pasteur et « prêcher » de par cette fonction la « bonne Parole ». Il croyait que parole et actes en cohérence, dans un ministère de pasteur, permettrait de pénétrer et d’influencer socialement les milieux économiques et sociaux de la civilisation industrielle de la fin du 19e siècle. L’autre, Dieterlen, un peu par la force des choses, est resté longtemps dans le monde industriel pour y œuvrer en interne, sans doute difficilement, à l’avancement du royaume de Dieu sur terre. Trouvant son action sans doute insuffisamment aboutie dans le cadre de son travail et de ses entreprises, il allait pour une bonne part de son temps « libre » apporter de l’aide spirituelle et matérielle auprès des personnes en difficulté dans leur proche environnement et plus largement encore.

Le travail comme vocation : une conviction profonde de Suzanne de Dietrich

Devant ce dilemme et devant l’idée que le travail est toujours une vocation, Suzanne de Dietrich a choisi sa voie à elle, au bénéfice d’un environnement plus ouvert que celui de sa famille et de son origine, mais en fidélité avec lui, comme une synthèse, ou bien encore comme un compromis «par le Haut et par le Bas » de ce dilemme.  Comme elle le laisse discerner à la fin de sa vie elle a dû penser qu’on ne peut pas être vraiment un patron social et vivre en pratique un Evangile intégral, c’est-à-dire spirituel et social, conforme à sa prière quotidienne où il est demandé que « ton nom soit sanctifié, que ton règne vienne, que ta volonté soit faite…. ». La cohérence n’est pas évidente à mettre en lumière.

https://rse-bien-commun.fr/wp-content/uploads/2023/06/suzanne-de-dietrich-bible.jpg

Suzanne de Dietrich a écouté ses racines et suivi ses aspirations pour communiquer l’Evangile

Suzanne de Dietrich a donc écouté ses racines et ses aspirations pour devenir une bibliste active. Elle vécut l’Évangile, le mit en pratique et le partagea dans diverses forme d’activités, notamment auprès de la jeunesse étudiante française puis internationale avec « La Fédé », « La FUACE ». Auprès des réfugiés avec la Cimade, dans des milieux laïques comme religieux mobilisés par la mission confiée « d’être un pour que le monde croie », ( « Le COE » - Conseil oecuménique des Eglises – . Elle s’est lancée dans le combat de la foi avec ses moyens et ses talents de communication portés par la grâce dans un corps pourtant infirme.

La Bible, une lumière pour « l’action bonne »

Son interprétation de la Bible tout en étant fidèle à sa plus juste traduction actualisée de son époque est une interprétation où l’ensemble de la Bible est prise « en compte » ou « en fin de compte », où la vision de sa trajectoire est visible, où la Bible n’est pas un livre de Doctrine, mais un livre de Vie, où elle parle de Dieu « sans vouloir mettre la main sur la Vérité », seulement en la mettant « comme une lampe à nos pieds, comme une lumière sur nos sentiers ». Pour Suzanne de Dietrich, la Bible est une lumière pour « l’Action bonne ». (Cf. "Le dessein de Dieu").

Suzanne de Dietrich nous pousse à aller plus loin dans notre travail de responsables d’entreprises et d’entrepreneurs.

Que devons nous faire à son exemple ? « Cherchez d’abord le Royaume de Dieu et sa Justice, le reste vous sera donné de surcroît » (Matthieu 6:33). Cela contredit en apparence la culture du résultat, du moins celle du résultat à tout prix… Cela peut ne pas paraître « sage » dans le langage des hommes. Mais en transposant ce principe au sport, par exemple, nous savons bien qu’une des grandes recettes du succès sportif est de ne pas se fixer au résultat, mais de trouver à la fois, indivisiblement, le détachement, la concentration, et l’amour du beau geste de la personne dans sa pleine force, harmonieuse en soi et alliée, quand c’est le cas, à celle de l’Esprit d’équipe ou de corps pour mystérieusement ouvrir la porte au dynamisme créateur vainqueur. Cela peut être aussi vrai sous une autre forme dans la gouvernance des entreprises. La source biblique est bien présente !

Dans ce sens le travail devient une œuvre

Dans ce sens le travail devient une œuvre ; le « comment » et le « bien faire », ensemble si possible, priment. Même le plus humble travail peut devenir « vocation ». « Le coup de pioche du bagnard devient le coup de pioche du pionnier » (St Ex.). Pour Suzanne de Dietrich on pourrait dire en plus que dans son travail sa grande liberté s’est paradoxalement liée à l’enracinement en Christ, Parole faite chair, Personne, Evangile, Amour, Confiance Espérance.

Dans l’histoire, Dieu agit.

Suzanne de Dietrich croyait fermement en ce que, malgré tous les faits contraires, Dieu agit dans l’histoire. Sa foi pousse le dirigeant chrétien à suivre Jésus, à la fois racine et but de sa foi. La mission de l’homme est d’apprendre à écouter la Parole aussi bien dans la bible que dans les traces de Dieu discernées dans la vie de tous les jours comme dans l’histoire des hommes et de l’humanité. Ce mandat, nous ne saurions l’accomplir avec nos seules forces humaines, il y faudra l’effusion du Saint Esprit, le baptême de feu de Pentecôte. L’effusion du Saint Esprit a été une source pour le discernement et l'engagement de cette alsacienne dans son travail. Savoir que Dieu est présent dans l’Histoire du monde, savoir qu’Il est là et a créé « toutes choses nouvelles » malgré tous les problèmes engendrés par la liberté qu’Il a donné aux hommes, c'est le message de cette entrepreneuse et laïque engagée aux dirigeants et entrepreneurs chrétiens d’aujourd’hui.

PARTAGEZ !