Pour enrichir une vision chrétienne de la RSE, nous nous intéressons ici à l’Économie de communion. C’est un courant de philosophie économique né au Brésil en 1991 au sein de la communauté chrétienne des Focolari. Il « privilégie la relation entre les personnes, pour une juste répartition de la valeur ajoutée entre toutes les parties prenantes, y compris les plus démunis ». Il a conquis depuis de nombreux chefs d’entreprise qui partagent leurs bonnes pratiques. Mais le mouvement, par sa philosophie, vise plus largement à inspirer tout acteur économique souhaitant concilier les dimensions sociales et économiques de leur activité.
Il n’existe aucune norme à proprement parler pour préciser les bonnes pratiques de l’Économie de communion. Il n’existe que des principes qui donnent une orientation idéale et des personnes qui témoignent de leurs manières d’appliquer ces principes. Les personnes qui souhaitent vivre cette Économie de communion le font sur une base volontaire, et souvent dans la discrétion. Avec l’Économie de communion, l’aspect de redistribution du bénéfice est secondaire puisque le don et la gratuité peuvent être mis en oeuvre à tous les niveaux de l’entreprise, y compris lorsque celle-ci ne fait pas de bénéfice.
A Sao Paulo au Brésil, Chiara Lubich, fondatrice du mouvement des Focolari, constate la pauvreté des bidonvilles au pied des gratte-ciels. « Comment se peut-il, dit-elle, que l’homme qui peut construire des gratte-ciels ne puisse pas nourrir l’enfant qui meure de faim ? » Elle encourage ainsi, parmi les membres de sa communauté, tous ceux qui auraient la capacité de créer une entreprise, croyant qu'il s'agit du meilleur moyen de s'occuper des pauvres qui les entourent.
Le vocable « économie de communion » (employé à partir de 1991) désigne une façon de vendre et de produire des biens et des services pour répondre réponde aux besoins de chacun), en créant de bonnes relations qui font la communion. Autrement dit, l’Économie de communion décrit ainsi l’ensemble des activités humaines d’ordre économique vécue dans l’économie de marché mais avec les principes suivants qui la différencient de l’approche économique libérale :
Le fondement anthropologique de cette économie est que l’homme est un être de relation, fait pour la réciprocité et qu’il trouve son bonheur dans la communion. De ce besoin naturel de la personne humaine, découle une orientation idéale de l’économie dans le but de transformer de l'intérieur les structures d'entreprise habituelles « en organisant les relations internes et externes de l'entreprise à la manière d'un style de vie inspiré de la communion. »
L’économie de communion relève davantage d’une éthique de la vertu et de la réciprocité que du conséquentialisme. L’éthique de la vertu insiste sur le comportement d’une personne, son intention à bien agir plutôt qu’à prévoir les conséquences de son action. Selon Aristote, la vie vertueuse mène à la vie heureuse. François Neveu, dirigeant d’entreprise et pionnier du mouvement de l’Économie de communion en France, traduit ainsi cet esprit de l’éthique des vertus : « l’Économie de communion ne consiste pas à changer le monde mais à se changer soi-même. » Quant à l’éthique de la réciprocité, elle se traduit par la règle d'or partagée par de nombreuses cultures et qui consiste à ne pas faire aux autres « ce que l’on ne voudrait pas que l’on nous fasse » ou encore à agir comme l’on voudrait que l’on agisse avec soi.
Si l’on devait classifier l’Économie de communion dans une discipline, nous pourrions dire qu’elle est de l’ordre de la philosophie morale plus que de la science économique puisqu’elle part de l’idée que l’homme est un être de relation, qu’il est fait pour le don et que la finalité des relations est la communion. Elle se développe ainsi dans une conception aristotélicienne de l’économie. Rappelons qu’Aristote opposait l’économie (Oikonomia) à la chrématistique (la création de richesse) sur laquelle se fonde l’économie moderne. L’Économie de communion, enfin, est une économie du don. Le don étant intrinsèque à l’acte marchand. Marcel Mauss, dans son Essai sur le don, explique que donner, recevoir et rendre sont trois obligations inhérentes à une « forme nécessaire de l’échange ».
La théorie des parties prenantes a été proposée, pour la première fois, en 1984 par Edward Freeman dans son livre Strategic Management: A Stakeholder Approach. Elle est un cadre de lecture pour l’Économie de communion qui rejoint d’une certaine manière l’approche de la théorie de Donaldson selon laquelle « aucune priorité ne peut être accordée aux intérêts des uns ou aux bénéfices des autres. Toutes les parties prenantes sont sur le même pied d’égalité ». Outre les parties prenantes énumérées dans la littérature à ce sujet (clients, fournisseurs, institutions publiques, ONG…) l’Économie de communion compte également les pauvres, comme partie prenante externe, en leur reversant une part des bénéfices, ou comme partie prenante interne, en les employant, par exemple, dans l’entreprise. Recruter dans l’entreprise ceux qui peinent à trouver un travail est un véritable acte de réconciliation de l'économique et du social. L'économie de communion est en ce sens inclusive.
Les « bonnes pratiques » des personnes engagées dans le mouvement de l'économie de communion représentent en effet un point essentiel de leur approche, une application concrète de la volonté de se changer soi-même plutôt que de vouloir changer les autres. Les rencontres organisées par l’Association pour l’Économie de communion consistent essentiellement à organiser un partage d’expériences, des « fruits » de leurs pratiques ou encore de leurs difficultés devant des décisions à prendre qui souvent opposent intérêts de l’entreprise et intérêt des personnes. Voyons quatre exemples de « bonnes pratiques » dont ont témoigné plusieurs chefs d’entreprise.
Pour mettre en œuvre le principe selon lequel le pauvre peut aussi être inclus à la vie de l’entreprise, une entreprise bretonne délègue une partie de son travail à une association qui accueille, dans un foyer, des personnes ayant vécu dans des conditions précaires, voire dans la rue. Autre cas, le dirigeant d’une entreprise de savonnerie des Bouches-du-Rhône rachetée en 2004 a bénéficié en 2011 d’une forte croissance. Devant le besoin de recruter de nouvelles personnes pour répondre aux commandes, il s’est également rapproché d’une association de réinsertion sociale de son département. Ainsi, il a recruté trois personnes pour une durée déterminée à ce moment là, pour faire face à l’afflux de demande, et depuis, il compte toujours parmi son personnel une personne qui a été recrutée par cette association.
La confiance, selon les promoteurs de l’Économie de communion, doit caractériser les relations entre les différentes parties prenantes de l’entreprise. Laurent T. est charpentier dans l’Est de la France. Il a accueilli un ancien toxicomane à l’héroïne qui avait déposé une candidature spontanée à son entreprise. « Lors de sa première journée de travail, témoigne Laurent T., je l'ai pris avec moi sur un chantier. J'ai dû m'absenter pendant deux heures et je lui ai passé les consignes pour qu'il continue seul. De retour à l'atelier, il me dit : « Vous venez de faire ce que personne n'a fait jusqu'à présent... vous m'avez fait confiance ».
Un architecte et dirigeant d’entreprise croate expliquait dans une interview récente comment il travaille en réseau avec un groupe d’entrepreneurs de sa région. Avec eux, il peut travailler « sans contrat ». Aussi étonnant que cela puisse paraître, ces entrepreneurs qui partagent un référentiel moral commun, travaillent dans une confiance qui simplifie la réalisation de leurs projets communs.
Une autre pratique peut être de faire le choix de recruter une personne qui aura plus de difficultés qu’une autre à retrouver un emploi. A cet exemple, un entrepreneur belge explique comment il a fait le choix, entre deux personnes, de recruter celle qui avait 56 ans et qui peinait à retrouver du travail.
Un des engagements de l’Économie de communion tient en la redistribution du bénéfice en trois tiers :
Néanmoins, cet aspect de redistribution du profit est secondaire puisqu’une entreprise qui peut ne pas faire de bénéfice peut très bien avoir « donné », d’une manière ou d’une autre, avec les possibilités qu'elle avait.
Nous pourrions, dans cette conclusion, émettre l’idée que l’Économie de communion relève davantage de pratiques empiriques fécondes que normatives. Sa communication, interne comme externe, se fait par le témoignage de ce qui est ou a été vécu par ceux qui souhaitent vivre leurs activités économiques en tendant à vivre de la communion entre les personnes. C’est d’ailleurs un des principes de développement de cet esprit : les dirigeants et entrepreneurs du mouvement de l’Économie de communion ont leurs propres bonnes pratiques et s’enrichissent mutuellement du partage des bonnes pratiques des autres. Nous avons vu qu’il s’agissait plutôt d’une orientation idéale relevant d’une éthique qui dispose à faire le bien là où l’on se trouve. Cette manière de vivre l’économie de marché a vocation à « aider à résoudre le problème social » et rejoint en cela la vision d’Amartya SEN pour qui l’on ne peut pas ne pas poser de questions morales sur l’économique, l’efficacité économique étant soumise à un regard moral.
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