Des critères ESG pour répondre au bien commun

Critères ESG : une proposition d'élargissement pour répondre aux exigences du bien commun

De Pierre de Lauzun

Le mardi 14 mars 2023

Les principes de l'investissement responsable de l’ONU de 2006 sont centrés sur les trois piliers de l’analyse extra-financière : l’environnement, le social et la gouvernance (E-S-G). En pratique, la dimension environnementale l’emporte, suivie de loin par le social. C’est une bonne chose mais cela ne fait pas tout car la recherche du bien commun, c’est-à-dire du bien de toute la société, exige une grille d’analyse que nous proposons ici d’élargir à 6 critères ESG.

La recherche du bien commun invite à élargir les critères ESG

D’une part, les critères ESG officiels d’appréciation éthique des entreprises sont à élargir car il existe également les responsabilités envers les clients, les fournisseurs, les communautés où elle intervient et la communauté d’origine (ce qu’on appelle les parties prenantes). Certains cherchent à mettre ces préoccupations sous le nom de critères ESG, mais cela implique d’élargir au-delà du raisonnable le sens de ces mots, d’une façon qui n’est plus compréhensible et surtout conduit en pratique à mettre dans l’ombre une partie des exigences correspondantes. Il faudrait au minimum parler d’ESGPP, en ajoutant les « parties prenantes ».

Des critères ESG pour aider l’entreprise à assumer ses responsabilités

Les critères ESG doivent répondre à la question suivante : comment l’entreprise assume-t-elle ses responsabilités envers les personnes et les différentes communautés humaines avec qui elle est en relation, et plus largement avec l’environnement ? C’est pourquoi le développement humain de ceux qui y participent, et la contribution à la société au sens large, sont des priorités essentielles. Si les critères ESG incombent principalement aux entreprises et à leurs responsables, une partie appréciable de l’action dépend aussi des pouvoirs publics, ainsi en matière sociale et environnementale. Et notamment la concurrence peut impliquer leur intervention pour éviter que soient pénalisées les entreprises au comportement éthique par rapport à leurs concurrents moins scrupuleux.

1er des critères ESG : les responsabilités envers l’environnement

L’environnement est avec le social de loin le plus important des critères actuellement pris en compte dans ce qu’on appelle finance éthique ou E-S-G. Il fait partie des critères ESG officiels et ne pose pas de problème dans son principe. En revanche la pratique est complexe. Ce premier des critères ESG concerne évidemment le développement durable au sens étroit, le réchauffement y compris la transition vers le non-carbone et la sortie des carburants fossiles, les ressources naturelles notamment en eau et air, la lutte contre la pollution au sens le plus large (contamination de zones comprise), la préservation de la biodiversité, le respect de zones comme les forêts pluviales, la non-surexploitation des ressources, la préservation de la couche d’ozone, la gestion des déchets, etc. On peut inclure aussi le refus des expérimentations animales ou de l’élevage intensif, voire celui des manipulations génétiques. Ce souci peut même être étendu à l’écologie humaine dans son ensemble, à commencer par les droits de l’embryon. La perspective peut alors devenir plus vaste.

Ce que recouvre le développement durable varie

Même ce domaine défini, la pratique est complexe et très technique, et souvent le choix entre les alternatives n’est pas simple. Si on voulait être complet, il faudrait une philosophie d’ensemble sur ce qui est jugé bon, neutre ou mauvais dans le processus de production actuel pris dans son ensemble, au vu de son impact actuel et futur sur l’environnement. Or la question de ce qu’on appelle développement durable, qui est apparemment simple, est en réalité assez complexe selon l’horizon choisi, les hypothèses d’impact faites, l’évolution attendue du progrès technique, l’appréciation de la renouvelabilité des ressources, etc.

Dans le critère ESG de l’environnement, le besoin de données est particulièrement fort mais en même temps, il est relativement plus quantifiable qu’un autre.

L’énergie et les matières premières, l’activité minière en sont des exemples évidents. Que faire par exemple avec le nucléaire ? La réponse ne va pas de soi. Le nucléaire est proscrit par la plupart des fonds anglo‐saxons, alors que les gérants français tendent à le retenir favorablement puisque, contrairement aux énergies fossiles, il ne rejette pas de gaz à effet de serre (à mon sens, c’est avec raison). Mais comme on sait, les risques et coûts sur le long terme sont difficiles à apprécier (notamment le stockage final des déchets). De même pour les OGM. Le besoin de se faire une doctrine environnementale est donc majeur, et la réponse n’est pas simple. Le manque de données scientifiques, souvent pointues, est en outre ici particulièrement criant ; or l’investisseur a besoin d’un travail d’élaboration externe significatif.

le social dans les critères ESG

Le 2e des critères ESG est la responsabilité envers le personnel et les collaborateurs

Le social est ensuite parmi les autres critères ESG actuels le plus important et le plus développé. La dimension sociale renvoie d’abord à la gestion des ressources humaines : respect du droit du travail, gestion du recrutement, de la formation et des carrières, qualité des conditions de travail, respect de la vie privée, dialogue social, participation des salariés, prise en compte de situation spécifiques comme celle des personnes handicapées, question de la diversité du recrutement, etc. Cela inclut le respect des droits de l’homme qui peut conduire les entreprises multinationales à agir pour le développement du droit du travail local.

Et comprend le respect des droits de l’homme

En termes de principes, on refusera en outre ce qu’on appelle aujourd’hui discrimination (sexe, couleur, religion, langue, condition sociale), même si la question est dans la pratique moins simple que ce qui est souvent dit ; il faut notamment éviter la dictature des groupes de pressions idéologiques de type woke, particulièrement obsessionnelle et nocive aux Etats-Unis.

L’approche officielle des critères ESG peut être reprise en y apportant une nuance au sujet de la diversité des mœurs

Dans une optique éthique, les exigences de l’approche officielle des critères ESG peuvent être reprises dans leur principe, avec une sérieuse nuance pour la question de la diversité des mœurs, très à la mode dans les grandes entreprises, notamment américaines, en partie parce que cela leur permet d’éviter des campagnes hostiles agressives, tout en impliquant assez peu de contraintes pour la vie réelle des affaires. Au contraire, on respectera les personnes, mais on ne mettra a priori pas sur le même plan la famille véritable et ces formes diverses de vie privée qui au fond ne concernent pas l’entreprise. En outre, de façon générale, la demande de prise en compte des exigences de la vie familiale doit être bien plus marquée qu’elle ne l’est habituellement.

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Un point d’attention est que la personne doit pouvoir se réaliser dans son travail

Dès lors que l’entreprise être considérée comme communauté d’hommes, elle doit alors être centrée sous cet angle sur l’homme, celui qui y travaille, sa famille, et tous les partenaires de l’entreprise. La personne doit pouvoir se réaliser dans son travail et la rémunération doit permettre de vivre et de faire vivre dignement sa famille. D’où une approche globale, pouvant même inclure une contribution au développement de la vie privée du travailleur – si celui-ci la souhaite. Le collaborateur dépend de l’entreprise, comme l’entreprise a besoin de lui. Mais là aussi, le besoin de données est important, même si les lois les imposent dans certains cas ; mais certaines seront spécifiques aux exigences évoquées ci-dessus et donc difficiles à trouver, hors dialogue direct avec l’entreprise et son environnement.

Le 3e des critères ESG est la responsabilité dans la gouvernance, et les relations avec les actionnaires

La gouvernance est le troisième des critères ESG officiel, qui, outre la qualité du fonctionnement des organes dirigeants de l’entreprise, direction générale, conseil, AG, s’élargit à l’ensemble des relations avec les actionnaires, à commencer par le respect de leurs droits. Cela comporte en outre la promotion de l’indépendance et de la compétence des administrateurs, la transparence et le niveau de la rémunération des dirigeants, etc. On peut aussi ranger ici l’attitude globale de l’entreprise envers les préoccupations ESGPP et plus généralement l’intégration dans l’ensemble de ses processus d'indicateurs plus larges que la rentabilité, ainsi que le respect des engagements pris à cet égard, par exemple dans les statuts, les déclarations publiques, ou la ‘raison d’être’. Certains incluent avec cela les questions de la corruption, ou des pratiques commerciales choquantes ; mais elles me paraissent plutôt relever elles aussi de la relation avec les communautés locales.

Gouvernance, un des critères ESG

L’entreprise ne peut être ordonnée au seul profit des actionnaires

L’approche ESG dominante peut être là aussi reprise dans ses traits principaux, notamment la transparence, l’organisation du conseil d’administration etc. Mais une politique pleinement éthique sera logiquement plus exigeante sur la philosophie qu’affiche l’entreprise, notamment concernant les demandes financières de ses propriétaires, les actionnaires. Le principe doit être posé que l’entreprise ne peut être ordonnée au seul profit des actionnaires ; en outre, ces derniers ont plus de devoirs (lien) que dans la perspective dominante.

Aussi, les actionnaires doivent-ils exercer leur rôle de façon active et responsable

Dans cette logique, il s’agit donc d’aller plus loin, et de veiller à ce que les actionnaires exercent leur rôle de façon active et responsable, et puissent le faire sur la base de critères plus larges que la rentabilité (c’est l’ensemble des autres critères ici examinés), et intégrés dans sa gouvernance. Un comportement éthique paye sur le long terme. Notons cependant que de telles considérations se font jour ici ou là dans les cercles professionnels et dans beaucoup d’entreprises, même si la pratique est très variable.

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4e : Responsabilités envers les clients, y compris sur les produits

Dans une perspective éthique, la responsabilité envers les clients, comprise au sens large, est un souci majeur, et c’est là à mon sens une assez nette différence avec l’approche des critères ESG dominante, qui n’y insiste pas assez. Il est évident que l’entreprise dépend de façon vitale de ses clients ; mais cela ne veut pas dire que ceux-ci fassent l’objet d’un traitement pleinement satisfaisant sur le plan éthique. Cela vise au minimum la qualité, la pertinence et la sécurité des produits et l’information donnée aux consommateurs.

La nature des produits fabriqués doit être interrogée

Les critères ESG peuvent s’étendre aussi à la nature des produits fabriqués, en fonction de leur rôle au service du véritable épanouissement de l’homme, au moins par la démarche dite d’exclusion. Cela vise alors au minimum, les drogues, les jeux d’argent, et la pornographie (un marché colossal de nos jours), les produits abortifs, etc. Ces soucis s’entendent naturellement au processus de production, conduisant à écarter par exemple les recherches médicales avec utilisation d’embryons ou les expérimentations animales abusives.

Critères ESG portant sur les produits fabriqués

Le débat existe pour les armements

Là encore le débat peut exister, ainsi pour les armements : d’un côté, ils sont source de mort et contribuent à une course aux armements très dispendieuse. D’un autre côté, laisser les industries d’armements à certains pays moins scrupuleux peut être bien pire, et l’indépendance suppose une capacité d’armement. Au minimum, le souci éthique comporte en priorité la lutte contre certaines armes :  bactériologiques et chimiques, mines anti-personnelles et bombes à fragmentation par exemple. De même pour les produits addictifs : si tout ce qui conduit à l’addiction est nocif, en revanche un certain usage modéré ne pose pas de problème. Dans le cas de la pornographie en revanche, la condamnation est simple et totale.

Les critères ESG doivent amener l’entreprise à proposer des produits utiles et sûrs, durables, et à un juste prix.

Mais la considération des clients et des produits doit aller bien au-delà, en fonction de la fonction sociale du produit proposé : l’entreprise doit proposer des produits utiles et sûrs, durables, et à un juste prix. Cette dernière question est bien plus importante qu’on ne l’estime habituellement ; et nos contemporains aussi détestent être ‘grugés’. Or autant, voire plus que le jeu du marché, c’est désormais la décision du vendeur qui fait le prix, et certains d’entre eux sont résolument iniques (dans les produits de luxe par exemple, ou dans bien des services, ainsi les commissions d’intervention dans la banque de détail). Le marché n’exerce pas la pression qu’il faudrait, notamment quand le mythe de la marque altère le jugement des acheteurs.

Le style de publicité adopté doit lui-même faire l’objet d’une réflexion particulière.

Comme on le voit, ce domaine est un de ceux où dans la perspective de l’éthique classique, les exigences vont bien au-delà des critères ESG largement répandus, même comprise largement (sauf à inclure toute la morale dans le ‘social’). Du coup aussi, l’information peut être encore plus difficile d’accès (par exemple dans le cas d’une grande entreprise ayant de multiples activités, ou pour analyser la politique des prix). Mais non moins désirable.

5e : Responsabilités envers les fournisseurs et distributeurs, et même le marché

De façon analogue, la responsabilité envers les fournisseurs et distributeurs devrait faire partie des critères ESG officiels. Un rapport de confiance et sur la durée avec eux est lui aussi très important pour la vie de l’entreprise sur la longue durée. On cite ici souvent la prévention des conflits d’intérêts et des pratiques anti-concurrentielles (cartels de droit ou plus souvent de fait, liées aux pratiques commerciales) ou plus largement inéquitables. Ou la diffusion des bonnes pratiques dans la chaîne de valeur en amont et en aval de la production. Tout cela est bien sûr tout à fait fondé. Mais l’approche éthique est logiquement plus exigeante, notamment à nouveau en termes de juste prix, ainsi que du besoin de relations de partenariat sur la durée, voire de solidarité envers les fournisseurs, surtout lorsqu’ils sont plus faibles que l’entreprise concernée. Cela a vraiment toute sa place dans les critères ESG.

Les critères ESG peuvent recouvrir également la responsabilité envers le marché au sens large, concurrents compris.

Notamment lorsqu’il y a un processus collectif de formation des prix, par exemple sur les marchés financiers, la bonne détermination du prix étant alors un élément du bien commun. Les pratiques de spéculation sauvage de certains organismes sont ici manifestement à sanctionner. De même le manque de transparence, les manipulations comptables etc. Là encore, selon les cas, repérer de telles pratiques pourra ne pas être facile ; a fortiori si les exigences qu’on pose vont au-delà de celles communément reconnues.

6e des critères ESG : les responsabilités à l’égard des communautés où l’entreprise intervient

La responsabilité envers les communautés où l’entreprise intervient peut faire défaut ; elle est pourtant elle aussi très importante. Certains l’incluent sous les critères ESG du ‘social’ ou de la gouvernance. Mais c’est une préoccupation en soi, logiquement distincte de celles-ci. Elle porte d’abord bien sûr sur des cas dramatiques : compromission avec des régimes politiques inacceptables ou encore l’extorsion de fonds, les pots-de-vin, le blanchiment d’argent sale… D’une certaine manière, à sa façon le non-respect d’autres standards, sociaux, écologiques ou autres, peut aussi rentrer en partie dans cette catégorie, si l’enjeu est significatif pour la communauté humaine impactée. Ainsi par exemple une hausse inconsidérée du prix de produits alimentaires peut remettre en cause la sécurité alimentaire de communautés entières.

Le fait de ne pas se livrer à des pratiques répréhensibles ou de ne pas en être complice est une première étape.

Mais il faut aller au-delà : l’entreprise doit prendre en compte sa participation (lien) à la communauté, comprise comme contribution positive au développement de celle-ci, et responsabilité envers elle. En même temps, comme on le voit là aussi, la disponibilité des données n’est pas acquise ; en outre et surtout, plus que dans tout autre domaine, les choix à faire peuvent légitimement faire l’objet d’appréciations variables. On peut par exemple se demander si comme le demandent certains une entreprise doit considérer la présence de la peine de mort dans un pays comme un facteur négatif à prendre en compte.

En prenant en compte la présence de la peine de mort, il faudrait boycotter les Etats-Unis, la Chine et le Japon...

De façon analogue, la responsabilité envers la communauté nationale d’origine de l’entreprise considérée n’est pratiquement pas évoquée dans la littérature des critères ESG. Sauf sans doute la question des paradis fiscaux, moyen de soustraire des revenus fiscaux légitimes à un pays, en général celui d’origine. Mais le souci est plus vaste : c’est celui des devoirs d’une entreprise devenue internationale envers son pays d’origine, qui lui a fourni de quoi se développer, et ses capitaux.

6 critères ESG élargis pour répondre aux exigences du bien commun

Cet élargissement des critères ESG vise à éclairer le choix des personnes soucieuses de rechercher le bien commun. Les perspectives sont vastes et pas toujours faciles à analyser. Mais il n’y a lieu ni de s’en effrayer, ni de culpabiliser. Le bien commun a besoin de l’action capillaire de toute personne agissant là où elle peut, avec les moyens d’action dont elle dispose.

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