Intéressement : pourquoi faire bénéficier les salariés du fruit de leur travail ?

Intéressement et participation des salariés : pourquoi ? Comment ?

De Cecile Labrousse

Le jeudi 16 février 2023

Intéressement, participation, actionnariat-salarié… ces différents moyens sont bien connus pour être facteurs de motivation. Pourtant, s’ils servent le management en impliquant les collaborateurs, pour Quentin Guezenec, ils sont une question de justice. Le dirigeant fondateur de Prominis, une société de conseil en rémunération et protection sociale, nous éclaire quant à la "propriété" du travail, au sens de l'intéressement et de diverses formes de retribution.

Le « fruit du travail », n’est-ce que les bénéfices de l’entreprise ?

Quentin Guézénec : « Le premier résultat du travail, c’est le produit, c’est à dire l’œuvre réalisée. C’est pour le peintre, une toile ou un mur, pour le consultant son rapport et sa relation avec le client. Le second fruit du travail, c’est l’union des hommes et l’aspect collectif. Comme l’écrivait Antoine de Saint-Exupéry, la grandeur d’un métier est d’unir les hommes. Le troisième fruit porte sur la personne elle-même, il s’agit de son perfectionnement. Enfin, un quatrième fruit est le service au monde, un travail qui a du sens répond à un besoin du monde et contribue à son édification. »

Qui sont les bénéficiaires des différents fruits du travail ?

Q.G. : « Voici une question qui fait débat ! Je pense que la récompense du travail appartient au travailleur car « tout travailleur est un créateur » comme l’écrivait le pape Paul VI dans Populorum Progressio (1967). Cette vision s’oppose au droit pour lequel le produit du labeur appartient à l’actionnaire. Si on se place du côté du détenteur de l’outil de production, un capital est issu d’une manière ou d’une autre du travail, même si ce capital a été hérité. Les propriétaires de la société qui immobilisent de l’argent, c’est-à-dire du résultat d’un travail, ont à oeuvrer pour la développer. C’est pour cela que l’actionnaire a aussi droit à une juste rémunération de son capital. Là où il me semble intéressant de dépasser la dialectique entre marxisme et libéralisme est que les salariés peuvent aussi devenir copropriétaires de la société, à mesure de leur apport à l’œuvre commune. On retrouve cette idée avec la prime d'intéressement. Mais d'autres formes de participation comme l'actionnariat salarié s'inscrivent bien plus dans l'idée de faire de collaborateurs des co-propriétaires de l'entreprise que l'intéressement.»

Interessement Quentin Guezenec

Pourquoi faire bénéficier les collaborateurs du fruit de leur travail, grâce à l'intéressement ?

Q.G. : « Car cela est une conséquence de leur dignité ! Pierre Bergé a dit que « louer son ventre pour avoir un enfant et louer ses bras pour travailler en usine » étaient du même ordre. D’une certaine façon, il n’a pas tort. « Louer ses bras », c’est à la fois une vision marxiste et une vision libérale. « Louer ses bras » ce n’est pas la même chose qu’être acteur de l’entreprise et en être responsable. Dans une perspective de bien commun, la personne qui travaille ne se vend ni se loue. Dans le travail, la personne se met tout entière, qu’elle exerce un métier physique ou intellectuel. »

Si le juste salaire est essentiel, est-il suffisant ? L’intéressement permet-il d'aller plus loin ?

Q.G. : « Une fois que les salaires sont justes, l’intéressement et d’autres solutions existent pour partager le profit. En pratique, l’intéressement, c’est une prime basée sur un objectif de résultat, une « prime de performance ». Quant à la participation, elle demande à l’actionnaire de renoncer à une partie de son dividende au profit des salariés. De mon point de vue, c’est l’actionnariat salarié, une troisième voie, qui revêt une dimension éthique supérieure aux autres. Cela signifie que les salariés deviennent copropriétaires de la société. La condition est que les salariés acquièrent gratuitement ou pour une faible somme des actions de cette société. Au lieu d’avoir une prime, le salarié reçoit des actions. Cette solution ne plait pas à certains dirigeants pour lesquels il faut être prêt à investir de l’argent et à le perdre pour être un véritable actionnaire. Elle ne plaît pas non plus aux marxistes qui craignent que les salariés devenus des « petits capitalistes » ne se détournent de la révolution ! »

L’actionnariat salarié demande-t-il d’acheter des actions ?

Q.G. : « Ce sont souvent des actions gratuites ou quasi gratuites. Mais ces actions étant perçues plutôt que de toucher une prime, il y a bien un risque pris, et un investissement de la part du salarié. Au-delà de l’aspect pécuniaire, l’actionnariat-salarié a un impact positif sur le sens des responsabilités des salariés-actionnaires. Car comme tout actionnaire, le salarié-actionnaire continue de travailler à son poste mais doit également être vigilant sur ce qui se passe dans l’entreprise. C’est du travail d’être actionnaire ! Qui plus est, investir demande de la confiance donc c’est une façon pour le salarié de signifier sa confiance en l’entreprise. Et cette modalité va dans le sens du travailleur qui doit être comme un « travailleur indépendant », à son compte, comme y ont invité les papes Jean-Paul II et Benoît XVI. »

Quand l’intéressement n'est pas possible, ou que l'entreprise se porte mal, comment être juste ?

Q.G. : « Il n’y a pas de richesses produites dont l’actionnaire et le salarié ne pourraient bénéficier. A eux de se retrousser les manches pour y arriver. Georges Pompidou, premier ministre au moment de la mise en place de la participation en France, disait que cette situation encouragerait les salariés à aller voir leur patron en disant : « mais nous, pourquoi on n’a pas une part des bénéfices, pourquoi est-ce que vous ne faites pas des bénéfices, pourquoi donc est ce que vous gérez mal votre affaire ? » On comprend à travers ce propos que Pompidou ne pensait pas que le principe de la participation devait unir les hommes alors que de Gaulle portait un projet ambitieux à travers la responsabilité des salariés. En effet, c’est au général de Gaulle que l’on doit l’intéressement et la participation. Inspirée par la pensée sociale chrétienne, il a porté dès le début des années 40 ce projet pour unir ceux que la lutte des classes opposait : les Français. Dans les premiers temps, il nommait ce projet « l’association », associer les collaborateurs de l’entreprise à son avenir. Son intention était de rechercher l’unité pour dépasser la « lutte des classes » et promouvoir un contrat de société plus intéressant moralement que le contrat de travail. »

L'intéressement est une façon de partager les bénéfices. Quelles autres solutions le dirigeant a-t-il ?

Q.G. : « En premier lieu, il y a une évidence, c’est de donner un salaire juste. Avant de vouloir faire profiter les salariés d’une partie des bénéfices, il est intéressant de réfléchir si les salaires sont justes. Selon Benoit XVI, l’acte économique doit être porteur de justice en soi. Ainsi, le prix de vente doit permettre de rémunérer correctement le travailleur. Dans l’encyclique Caritas in Veritate, Benoit XVI critique le duopole marché-État dans lequel le marché produit de la richesse avec des inégalités ou externalités négatives que l’État répare via le système social. C’est ce qui se passe lorsque l’on rémunère avec de bas salaires qui seront complétés par des primes pour l’emploi ou des indemnités inflation… »

Que faites-vous pour les chefs d'entreprise qui se demandent comment partager davantage les fruits du travail ?

Q.G. : « Je fais en sorte que chacun bénéficie de ce qu'il a produit : l’entrepreneur a besoin de conseil pour se verser une rémunération juste et raisonnablement fiscalisée, et pour se construire une protection sociale adaptée (retraite, prévoyance). Le salarié dispose de droits à la retraite, éventuellement d’une épargne salariale, d’actions de l’entreprise ou d’un intéressement : toute chose que je l’aide à préserver et faire fructifier. Enfin les familles du travailleur, qui vivent grâce au labeur de celui-ci doivent être assurées d’un cadre sécurisant de revenus en cas de décès ou d’invalidité : c’est pourquoi je gère leur prévoyance. »

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