Investissement éthique et devoirs de l'investisseur

Investissement éthique et devoirs de l’investisseur

De Pierre de Lauzun

Le lundi 20 février 2023

Un investissement éthique, c’est un message est envoyé à l’entreprise, à ses parties prenantes et à tout le marché, pour contribuer à les orienter dans le sens du bien commun. Il manifeste ce faisant le bon usage que l’investisseur fait de son propre argent, un usage d’autant meilleur qu’il est animé du souci du bien commun. ­­­­La façon dont celui qui investit vit sa responsabilité peut jouer alors un rôle déterminant. Comme on sait, la gestion collective est aujourd’hui largement court-termiste, au vu de ses ‘benchmarks’ ou étalonnages, indexés sur les seuls cours de bourse. Mais cette aberration donne par contraste une importance centrale à l’investissement éthique ou socialement responsable. L’investissement éthique, devenu la priorité de nombreux investisseurs de bonne volonté, devrait être la seule manière d’investir !

Les priorités données par les propriétaires de l’entreprise pèsent sur le marché

Le message adressé par l’investisseur sera donc d’autant plus fort que l’investissement se réalise dans ce qui est la propriété de l’entreprise : le rôle d’actionnaire. Les priorités que se définissent les propriétaires sont décisives pour l’orientation du marché et par là des entreprises. Certes, très souvent les propriétaires délèguent ce rôle à des professionnels de la gestion. Mais ces derniers travaillent sur la base des instructions qu’ils reçoivent (ou du mode de gestion qu’ils ont proposé dans la description de leurs produits). De même, les entreprises ont des dirigeants, mais eux aussi sont dépendants des priorités des actionnaires.

La responsabilité des investisseurs vaut dans les autres types d’organisation

L’investissement éthique vaut également dans d’autres organisations de la propriété. Lorsque les propriétaires sont les salariés comme dans une coopérative ou les clients dans le mutualisme, leur responsabilité reste dans son principe la même. Il y a toujours quelqu’un celui qui décide en dernière analyse, et c’est lui le ‘propriétaire’ au sens large, celui à qui incombe ce devoir.

Investissement éthique : les actions sont des instruments financiers prioritaires

Naturellement, la stratégie d’investissement éthique va dépendre de la position de chacun, de ses moyens, de ses connaissances et de ses besoins. Entre autres choix, il y a celui des instruments financiers eux-mêmes. Un point est essentiel : les actions sont prioritaires sur les autres façons d’investir, notamment les titres de dette. D’abord parce qu’elles permettent d’agir directement sur les entreprises, puisque l’actionnaire en est conjointement propriétaire et vote dans les assemblées générales sur les choix de direction. Lorsqu’il investit en fonds propres (en actions), il est en outre davantage solidaire du sort des entreprises, qu’elles prospèrent ou qu’elles perdent de la valeur. Par ailleurs on peut rappeler que tous les grands drames financiers ont été d’une façon ou d’une autre des crises de la dette !

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L’investissement éthique ne doit pas prendre en compte les seuls résultats financiers

Si l’on considère l’entreprise comme une communauté d’hommes, ses objectifs et missions ne peuvent s’exprimer seulement en des résultats financiers. Dans l’investissement éthique, les parties prenantes ne sont pas en reste. Selon Benoît XVI : « la gestion de l’entreprise ne peut pas tenir compte des intérêts de ses seuls propriétaires, mais aussi de ceux de toutes les autres catégories de sujets qui contribuent à la vie de l’entreprise : les travailleurs, les clients, les fournisseurs des divers éléments de la production, les communautés humaines qui en dépendent ». (Caritas in Veritate 2009).

Les exigences pratiques de l’investissement éthique

Investissement éthique est synonyme d’exigence pour l’investisseur. Celui-ci doit d’abord intégrer ses exigences éthiques dans son analyse, ses processus de décision, et la mise en œuvre ultérieure (chercher l’information, rencontrer les personnes, soutenir les initiatives des actionnaires allant dans le bon sens ; demander l’info non disponible, exercer activement ses droits de vote etc.). Ensuite, il doit être en mesure de promouvoir les exigences éthiques pour valoriser et communiquer son éthique. Bien entendu, une telle action demande des moyens et du temps, et doit en général être exercée en commun, ou déléguée.

L’investissement éthique a besoin de l’information non disponible

L’information actuellement disponible est en effet d’abord et essentiellement financière. Pourtant, l’investissement éthique implique de savoir ce qui se passe au-delà des aspects financiers. Or les données correspondantes ne sont souvent non seulement pas disponibles publiquement, mais pas mêmes élaborées par l’entreprise elle-même – même si la loi exige de fournir certaines données. C’est alors sans doute le dialogue direct avec les acteurs de l’entreprise qui donnera l’information non disponible.

Les différentes méthodes en question

Parmi les méthodes d’investissement éthique, il existe les méthodes « d’exclusion » et « Best in class ». Celle de l’exclusion consiste à exclure les entreprises, activités ou fonds qui ne respectent pas tel ou tel critère – parfois avec une zone grise. Elle n’est pas toujours aisée à mettre en œuvre, comme dans le cas des grandes sociétés aux multiples activités, ou si l’activité considérée est un mélange de bonnes et de mauvaises choses.

Qu'est-ce que la méthode de sélection des meilleurs élèves ou “best in class”?

Elle consiste à sélectionner dans chaque sous-ensemble de valeurs mobilières qu’on a déterminé celle qui est la meilleure selon les critères retenus, par exemple sous l’angle écologique, et/ou on élimine les moins bonnes. L’avantage est de se baser de façon pratique sur la réalité du marché, et d’exercer une certaine pression – à condition de la communiquer. L’inconvénient est double : d’un côté, on accepte par-là de financer des activités ou des méthodes contestables, faute de mieux. D’un autre côté, on risque de ne pas faire évoluer des pratiques si elles sont adoptées par toute une branche d’activité.

Une autre méthode est de rechercher une entreprise qui réponde aux critères de l’investisseur

Il reste enfin le choix proactif de certaines activités ou entreprises : dans ce cas, on choisit délibérément telle ou telle préoccupation, tel ou tel secteur ou groupe de secteur, et de rechercher les entreprises correspondant le mieux à notre intention pour y investir. L’avantage est de viser positivement ce qu’on veut favoriser. L’inconvénient est de restreindre l’univers des possibles. Cela suppose une méthodologie robuste et transparente, avec une intention claire, et une mesure d’impact de performance sociale ou environnementale. Cela peut aller d’une méthode analogue à celle suivie pour orienter des investissements classiques (de type boursier) à une action plus directe, dans la ligne de ce qu’on appelle les « impact investing strategies”, qui se portent d’ailleurs souvent sur du non-coté.

Cette démarche s’intéresse souvent à des secteurs jugés urgents

Cette démarche s’intéresse souvent à des secteurs jugés urgents : l’agriculture durable, les énergies renouvelables, la conservation de la nature, la microfinance, ou la fourniture de besoins de base (logement, santé, éducation). Pas plus que les autres stratégies, cela n’exclut pas qu’il y ait un objectif de rendement ; mais il peut être en dessous du marché, ou ajusté au risque (par comparaison avec des produits existants classiques, venture capital, private equity etc.). 

Notons qu’une certaine combinaison de ces diverses méthodes est non seulement concevable, mais dans une certaine mesure nécessaire.

Un véritable frein à l’investissement éthique est la gestion passive

La logique de cette responsabilité paraît incompatible avec la forme de gestion courante qui est la gestion passive. Elle consiste comme on sait à se borner à dupliquer un indice, en général un indice assez large de marché, parfois sectoriel (ETFs). Cela permet des frais plus bas que la gestion active, et donc en moyenne un résultat comptablement meilleur. Mais outre que c’est en général non compatible avec une gestion éthique, c’est une forme d’irresponsabilité à l’égard de la logique du marché, lequel n’est déterminé que par la gestion active ; c’est une attitude de passager clandestin (free-rider) peu éthique en elle-même, sauf évidemment besoin ou situation particulière. Et c’est incompatible avec un rôle actif de l’actionnaire, par exemple en assemblée générale.

L’investissement éthique, voie de l’avenir

En soi, l’investissement éthique ou socialement responsable est la seule manière d’investir justifiable, lorsqu’il est orienté vers le bien commun. Au minimum, il implique des outils considérables, d’analyse, de collecte d’information, et d’action collective ; puis la création d’instruments de gestion collective s’en inspirant. La route paraît encore longue, mais l’action capillaire de personnes nombreuses, chacune œuvrant là où elle peut, à la mesure de ce qu’elle peut donner, finit par influencer le marché et les entreprises, surtout si les moyens sont mis en commun. L’investissement éthique est donc la voie de l’avenir, d’un avenir meilleur.

Source : pierredelauzun.com

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